Le Monde 2003

Un quotidien basque fermé par la justice espagnole

 

Daniel Psenny

 

Article paru dans l’édition du 12.03.03

 

Seul Quotidien généraliste publié intégralement en langue basque, Euskaldunon Egunkaria ( Le Quotidien ), créé fin 1990, a été fermé par la police espagnole le 20 février. Soupçonné par la justice ibérique « de délit d’appartenance ou de collaboration » avec l’organisation séparatiste ETA, le quotidien, édité à Andoain, près de San Sebastian, et qui diffuse 15 000 exemplaires, a été perquisitionné et son matériel saisi.

 

Trente-quatre personnes ont été arrêtées, dont le directeur du journal, Martxelo Otamendi Egiguren, qui a été incarcéré pendant cinq jours. Il avait déjà fait l’objet en 2002 d’une enquête de la justice espagnole pour « incitation au meurtre » après avoir publié un entretien avec des membres de l’ETA. Il avait ensuite été laissé en liberté sans restriction. Peio Zubiria, ancien directeur du journal, a été hospitalisé après avoir tenté de se suicider, le 23 février, pendant sa détention, puis a été réincarcéré après avoir été soigné. Martin Ugalde, président du conseil d’administration, ainsi que sa femme, ont été placés en garde à vue.

 

Lundi 10 mars, alors que six salariés du journal restaient toujours en détention et que leurs domiciles restaient sous scellés, la justice espagnole a décidé de prolonger la fermeture d ‘Egunkaria pour au moins six mois.

 

Aussitôt connue, la fermeture d ‘Egunkaria a provoqué de nombreuses manifestations de soutien au Pays basque espagnol. Le 22 février, plusieurs milliers de personnes ont défilé à San Sebastian. L’Académie de la langue basque a exprimé « sa profonde préoccupation », soulignant que « la langue comme la culture basques relèvent d’un patrimoine commun hors de toute idéologie ». Créé à l’aide d’une « souscription populaire », Egunkaria est subventionné en partie par le gouvernement basque d’Espagne (dirigé par les nationalistes) et celui de Navarre (conduit par la droite populaire de José Maria Aznar).

 

«Fournir des explications»

 

De son côté, Reporters sans frontières (RSF) a écrit au ministre espagnol de la justice, José-Maria Michavila, pour lui « demander des explications » sur la fermeture du journal. « La lutte nécessaire et légitime contre le terrorisme doit respecter le principe de la liberté de la presse, fondamental dans toute démocratie », a écrit Robert Ménard, secrétaire général de RSF. « Nous nous interrogeons sur l’opportunité de fermer des journaux alors même que la justice ne s’est pas encore prononcée sur les accusations portées contre les journalistes d ‘Egunkaria. Nous vous demandons de bien vouloir nous fournir des explications sur cette décision, qui nous paraît hâtive au regard du manque d’informations précises sur les faits reprochés à la direction du journal. »

 

Lors d’une conférence de presse tenue à Paris mercredi 5 mars, Eneko Bidegain, correspondant du journal à Bayonne, a rejeté en bloc les accusations de la justice espagnole contre le journal et a défendu son « indépendance » vis-à-vis des groupes politiques et des institutions. M. Bidegain a indiqué que les journalistes basques ne comptaient pas rester silencieux. Ils se sont organisés pour éditer un nouveau quotidien de 16 pages, Egunero ( Tous les jours ), également publié en basque et imprimé en Navarre.

 

Selon un journaliste placé en garde à vue, puis libéré, la police aurait frappé, insulté et humilié plusieurs gardés à vue. RSF préfère parler de « mauvais traitements » et a demandé l’ouverture d’une enquête au ministre espagnol de l’intérieur, Angel Acebes.

 

http://www.lemonde.fr/cgi-bin/ACHATS/ARCHIVES/archives.cgi?ID=6effc32e139c2d985d4ac4ea6d96948f0ce15dce2470702b