Liberation 2003

Bourrasque après la fermeture d’un journal basque

 

La justice espagnole accuse «Egunkaria» de servir l’ETA. Les nationalistes crient à l’abus de pouvoir.

 

MUSSEAU François

 

Madrid de notre correspondant

 

On est habitué, au Pays basque espagnol, aux rassemblements de journalistes menacés de mort par l’ETA. Cette fois-ci, c’est l’ensemble des médias régionaux d’inspiration nationaliste qui s’insurgent contre «l’état d’exception» qu’incarnerait Madrid. Un manifeste signé par une dizaine d’intellectuels basques dénonce même «un péril pour la démocratie». A l’origine de cette levée de boucliers, la fermeture, le 20 février, d’Egunkaria, seul quotidien édité intégralement en euskara, la langue basque.

 

Comptes sous scellés. La décision a été prise par le juge Del Olmo, de l’audiencia nacional, persuadé que ce quotidien indépendantiste, fondé il y a treize ans, «est un instrument de l’ETA» et «diffuse dans ses pages l’idéologie terroriste». Tous les comptes bancaires du quotidien ont été mis sous scellés. Sur les dix responsables du journal arrêtés, quatre ont été remis en liberté, dont le directeur de la publication, Martxelo Otamendi. Ce dernier a affirmé, mercredi, avoir été torturé par la police au cours de sa détention. Une accusation reprise en choeur par les nationalistes modérés, au pouvoir dans la région, et rejetée «catégoriquement» par le ministre espagnol de l’Intérieur, Angel Acebes.

 

Au Pays basque et dans une bonne partie de la presse espagnole, la fermeture d’Egunkaria est perçue comme une atteinte à la liberté d’expression. Le week-end dernier, des milliers de manifestants ont investi les rues de Saint-Sébastien pour clamer leur indignation contre un «abus de pouvoir». L’université du Pays basque, certaines maisons d’édition, des quotidiens (Deia, Diario de Alava…) ont proposé leur aide.

 

Grâce à une chaîne de solidarité, un nouveau titre, Egunero, sort désormais chaque jour en kiosque et compte 16 pages en noir et blanc, au lieu des 56 pages en couleur de son prédécesseur. En revanche, la polémique aidant, le nouveau venu s’écoule à environ 75 000 exemplaires, soit cinq fois plus qu’Egunkaria.

 

«Tout est très louche dans cette affaire, confie Mikel Arrieta, responsable de la communication du quotidien interdit. On est attaqué de manière infondée, sur la base d’accusations très vagues… Dans le fond, c’est une manière de s’en prendre à l’euskara.»

 

Suspicion. C’est bien ainsi que l’a compris l’exécutif nationaliste modéré, qui a toujours fait de la «récupération» de l’idiome basque une de ses priorités (il accordait 1,6 million d’euros de subventions annuelles à Egunkaria). Le gouvernement régional a exigé la «réouverture immédiate du journal», estimant «inacceptable le lien établi entre le monde de la culture basque et la violence armée». Les mêmes autorités ont aussi promis de débloquer les mêmes fonds en faveur d’Egunero.

 

La suspicion qu’une certaine presse abertzale  gauche séparatiste  sert les intérêts de l’ETA n’est pas nouvelle. En juillet 1998, le juge Garzon avait ordonné la fermeture du quotidien Egin pour «collaboration avec une organisation terroriste». Son remplaçant, Gara, est toujours dans le collimateur de la justice. Comme ce dernier, Egunkaria recevait et publiait les communiqués de l’ETA. Le titre offrait toutefois une tribune à des opinions diverses, souvent opposées à une solution armée, et était devenu un référent populaire de la langue basque.

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